Les trois mousquetaires, vol. 2 (illustré par Maurice Leloir) - страница 10

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—Pauvre cher monsieur d’Artagnan! dit Ketty d’une voix pleine de compassion et en serrant de nouveau la main du jeune homme.

—Tu me plains, bonne petite! dit d’Artagnan.

—Oh! oui, de tout mon cœur! car je sais ce que c’est que l’amour, moi!

—Tu sais ce que c’est que l’amour? dit d’Artagnan la regardant pour la première fois avec une certaine attention.

—Hélas! oui.

—Eh bien! au lieu de me plaindre, alors, tu ferais bien mieux de m’aider à me venger de ta maîtresse.

—Et quelle sorte de vengeance voudriez-vous en tirer?

—Je voudrais triompher d’elle, supplanter mon rival.

—Je ne vous aiderai jamais à cela, monsieur le chevalier! dit vivement Ketty.

—Et pourquoi cela? demanda d’Artagnan.

—Pour deux raisons.

—Lesquelles?

—La première, c’est que jamais ma maîtresse ne vous aimera.

—Qu’en sais-tu?

—Vous l’avez blessée au cœur.

—Moi! en quoi puis-je l’avoir blessée, moi qui, depuis que je la connais, vis à ses pieds comme un esclave; parle, je t’en prie.

—Je n’avouerais jamais cela qu’à l’homme... qui lirait jusqu’au fond de mon âme!

D’Artagnan regarda Ketty pour la seconde fois. La jeune fille était d’une fraîcheur et d’une beauté que bien des duchesses eussent achetées de leur couronne.

—Ketty, dit-il, je lirai jusqu’au fond de ton âme quand tu voudras; qu’à cela ne tienne, ma chère enfant.

Et il lui donna un baiser sous lequel la pauvre enfant devint rouge comme une cerise.

—Oh non! s’écria Ketty, vous ne m’aimez pas! c’est ma maîtresse que vous aimez, vous me l’avez dit tout à l’heure.

—Et cela t’empêche-t-il de me faire connaître la seconde raison?

—La seconde raison, monsieur le chevalier, reprit Ketty enhardie par le baiser d’abord et ensuite par l’expression des yeux du jeune homme, c’est qu’en amour chacun pour soi.

Alors seulement d’Artagnan se rappela les coups d’œil languissants de Ketty, ses rencontres dans l’antichambre, sur l’escalier, dans le corridor, ses frôlements de main chaque fois qu’elle le rencontrait, et ses soupirs étouffés; mais, absorbé par le désir de plaire à la grande dame, il avait dédaigné la soubrette: qui chasse l’aigle ne s’inquiète point du passereau.

Mais cette fois notre Gascon vit d’un seul coup d’œil tout le parti qu’on pouvait tirer de cet amour que Ketty venait d’avouer d’une façon si naïve ou si effrontée: interception des lettres adressées au comte de Wardes, intelligences dans la place, entrée à toute heure dans la chambre de Ketty, contiguë à celle de sa maîtresse. Le perfide, comme on le voit, sacrifiait déjà en idée la pauvre fille pour obtenir milady de gré ou de force.

—Eh bien! dit-il à la jeune fille, veux-tu, ma chère Ketty, que je te donne une preuve de cet amour dont tu doutes?

—De quel amour? demanda la jeune fille.

—De celui que je suis tout prêt à ressentir pour toi.

—Et quelle est cette preuve?

—Veux-tu que ce soir je passe avec toi le temps que je passe ordinairement avec ta maîtresse?

—Oh! oui, dit Ketty en battant des mains, bien volontiers!

—Eh bien! ma chère enfant, dit d’Artagnan en s’établissant dans un fauteuil, viens çà que je te dise que tu es la plus jolie soubrette que j’aie jamais vue!

Et il le lui dit tant et si bien que la pauvre enfant, qui ne demandait pas mieux que de le croire, le crut... Cependant, au grand étonnement de d’Artagnan, la jolie Ketty se défendait avec une certaine résolution.

Le temps passe vite, lorsqu’il se passe en attaques et en défenses.

Minuit sonna, et l’on entendit presque en même temps retentir la sonnette dans la chambre de milady.

—Grand Dieu! s’écria Ketty, voici ma maîtresse qui m’appelle! Partez, partez vite!

D’Artagnan se leva, prit son chapeau comme s’il avait l’intention d’obéir; puis, ouvrant vivement la porte d’une grande armoire au lieu d’ouvrir celle de l’escalier, il se blottit dedans au milieu des robes et des peignoirs de milady.

—Que faites-vous donc? s’écria Ketty.

D’Artagnan, qui d’avance avait pris la clé, s’enferma dans son armoire sans répondre.

—Eh bien! cria milady d’une voix aigre, dormez-vous donc que vous ne venez pas quand je sonne?

Et d’Artagnan entendit qu’on ouvrait violemment la porte de communication.