Les trois mousquetaires, vol. 2 (illustré par Maurice Leloir) - страница 8

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Maître Coquenard, après les délices d’un pareil repas, qu’il appelait un excès, éprouva le besoin de faire sa sieste. Porthos espérait que la chose aurait lieu séance tenante et dans la localité même; mais le procureur maudit ne voulut entendre à rien; il fallut le conduire dans sa chambre, et il cria tant qu’il ne fut pas devant son armoire, sur le rebord de laquelle, pour plus de précaution encore, il posa ses pieds.

La procureuse emmena Porthos dans une chambre voisine, et l’on commença de poser les bases de la réconciliation.

—Vous pourrez venir dîner trois fois la semaine, dit madame Coquenard.

—Merci, dit Porthos, je n’aime pas à abuser; d’ailleurs, il faut que je songe à cet équipement.

—C’est vrai, dit la procureuse en gémissant... c’est ce malheureux équipement.

—Hélas! oui, dit Porthos, c’est lui.

—Mais de quoi donc se compose l’équipement de votre corps, monsieur Porthos?

—Oh! de bien des choses, dit Porthos; les mousquetaires, comme vous savez, sont soldats d’élite, et il leur faut beaucoup d’objets inutiles aux gardes ou aux Suisses.

—Mais encore, détaillez-le-moi.

—Mais cela peut aller à... dit Porthos, qui aimait mieux discuter le total que le menu.

La procureuse attendait frémissante.

—A combien? dit-elle, j’espère bien que cela ne passe point...

Elle s’arrêta, la parole lui manquait.

—Oh! non, dit Porthos, cela ne passe point deux mille cinq cents livres; je crois même qu’en y mettant de l’économie, avec deux mille livres je m’en tirerai.

—Bon Dieu, deux mille livres! s’écria-t-elle, mais c’est une fortune.

Porthos fit une grimace des plus significatives, madame Coquenard la comprit.

—Je demande le détail, dit-elle, parce qu’ayant beaucoup de parents et de pratiques dans le commerce, je serais presque sûre d’obtenir les choses à cent pour cent au-dessous du prix où vous les payeriez vous-même.

—Ah! ah! fit Porthos, si c’est cela que vous avez voulu dire!

—Oui, cher monsieur Porthos! ainsi ne vous faut-il pas d’abord un cheval?

—Oui, un cheval.

—Eh bien! justement j’ai votre affaire.

—Ah! dit Porthos rayonnant, voilà donc qui va bien quant à mon cheval; ensuite il me faut le harnachement complet, qui se compose d’objets qu’un mousquetaire peut seul acheter, et qui ne montera pas, d’ailleurs, à plus de trois cents livres.

—Trois cents livres: alors mettons trois cents livres, dit la procureuse avec un soupir.

Porthos sourit: on se souvient qu’il avait la selle qui lui venait de Buckingham, c’était donc trois cents livres qu’il comptait mettre sournoisement dans sa poche.

—Puis, continua-t-il, il y a le cheval de mon laquais et ma valise; quant aux armes, il est inutile que vous vous en préoccupiez, je les ai.

—Un cheval pour votre laquais? reprit en hésitant la procureuse; mais c’est bien grand seigneur, mon ami.

—Eh, madame! dit fièrement Porthos, est-ce que je suis un croquant, par hasard?

—Non; je vous disais seulement qu’un joli mulet avait quelquefois aussi bon air qu’un cheval, et qu’il me semble qu’en vous procurant un joli mulet pour Mousqueton...

—Va pour un joli mulet, dit Porthos; vous avez raison, j’ai vu de très grands seigneurs espagnols dont toute la suite était à mulets. Mais alors, vous comprenez, madame Coquenard, un mulet avec des panaches et des grelots?

—Soyez tranquille, dit la procureuse.

—Reste la valise, reprit Porthos.

—Oh! que cela ne vous inquiète point, s’écria madame Coquenard: mon mari a cinq ou six valises, vous choisirez la meilleure; il y en a une surtout qu’il affectionnait dans ses voyages, et qui est grande à tenir un monde.

—Elle est donc vide, votre valise? demanda naïvement Porthos.

—Assurément qu’elle est vide, répondit naïvement de son côté la procureuse.

—Ah! mais la valise dont j’ai besoin, s’écria Porthos, est une valise bien garnie, ma chère.

Madame Coquenard poussa de nouveaux soupirs. Molière n’avait pas encore écrit sa scène de l’Avare. Madame Coquenard a donc le pas sur Harpagon.

Enfin le reste de l’équipement fut successivement débattu de la même manière; et le résultat de la séance fut que la procureuse donnerait huit cents livres en argent, et fournirait le cheval et le mulet qui auraient l’honneur de porter à la gloire Porthos et Mousqueton.