ПСС. Том 90. Произведения, дневники, письма, 1835-1910 гг. - страница 8

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Si même le goût du travail n’est pas un vice, il ne peut à aucun point de vue être envisagé comme un mérite. Le travail pas plus que la nutrition ne peut être une vertu, le travail est un besoin dont la privation est une souffrance et l’élever au rang de mérite est aussi monstrueux que d’on faire autant pour la nutrition. La seule explication de cette étrange valeur attribuée au travail dans notre société est que nos ancêtres ont érigé l’oisiveté en attribut de noblesse, presque de mérite et que les gens de notre temps ne se sont pas encore complètement libérés de ce préjugé. Le travail, l’exercice de nos organes, ne saurait être un mérite, parce qu’il est toujours une nécessité pour chaque homme ainsi que pour chaque animal, comme le certifient égalemens les galopades d’un veau attaché à une corde et dans notre société, les exercices stupides auxquels s’adonnent les gens riches et bien nourris, qui ne trouvent pas d’emploi plus raisonnable et utile à leurs facultés mentales que la composition et la lecture d’articles de journaux et de romans, le jeu d’échecs et de cartes, la gymnastique, l’escrime, le lawn-tennis, les courses et autres, pour l’exercice de leurs museles.

A mon avis non seulement le travail n’est pas une vertu, mais dans notre société défectueusement organisée il est le plus souvent un des principaux moyens d’anesthesie morale dans le genre du tabac, du vin et autres moyens employés par les hommes pour s’étourdir sur le désordre et le vide de leur existence; et c’est précisément sous ce jour que M. Zola recommande le travail à la jeunesse.

La grande différence entre la lettre de M. Dumas et le discours de M. Zola, sans parler de la différence extérieure qui consiste en ce que le discours de M. Zola est adressé à la jeunesse dont il semble rechercher l’approbation, tandis que la lettre de M. Dumas ne fait pas de compliments aux jeunes gens mais au contraire au lieu de leur inculquer qu’ils sont des personnages importants et que tout dépend d’eux (ce qu’ils ne doivent jamais croire pour être bons à quelque chose) leur signale, leurs défauts habituels, leur présomption et leur légèreté et par cela leur est utile au lieu de leur être nuisible; la grande différence de ces deux écrits consiste en ce que le discors de M. Zola a pour but de retenir les hommes sur la voie dans laquelle ils se trouvent, en leur faisant accroire que ce qu’ils savent est précisément ce qu’il doivent savoir et que ce qu’ils font est précisément ce qu’ils doivent faire tandis que la lettre de M. Dumas leur montre qu’ils ne savent pas le principal de ce qu’ls devraient savoir et ne vivent pas comme ils devraient vivre.

Plus les hommes croiront qu’ils peuvent être amenés malgré eux une force extérieure agissant de soi-même — religion ou science — à ил changement bienfaisant de leur existence et, que pour que ce changement arrive ils n’ont qu’à travailler dans l’ordre établi, plus ce changement sera difficile à accomplir; et là est le défaut principal du discors de M. Zola.

Mais au contraire plus les hommes croiront qu’il ne dépend que d’eux mêmes de changer leurs rapports mutuels et qu’ils peuvent le faire quand ils le voudront en se mettant à aimer les uns les autres au lieu de s’entredéchirer comme ils le font à présent et plus cela deviendra possible. Plus les hommes se laisseront aller à cette suggestion et plus ils seront entraînés à la réaliser. Et c’est là le grand mérite de la lettre de M. Dumas. M. Dumas n’appartient à aucun parti, à aucune religion; il a aussi peu de foi dans les superstitions du passé que dans celles du présent, et c’est précisément à cause de cela qu’il observe, qu’il pense et qu’il voit non seulement le présent, mais aussi l’avenir, comme ceux que l’on appelait dans l’antiquité les voyants. Il paraîtra étrange à ceux qui, en lisant un écrivain, ne voient que le contenu d’un livre et non pas l’âme de l’écrivain, que M. Dumas, l’auteur de la «Dame aux camélias» et de l’«Affaire Clemenceau», ce même Dumas voit l’avenir et prophétise. Mais si bizarre que cela nous paraisse, la prophétie se faisant entendre non pas dans le désert ou sur les bords du Jourdain et de la bouche d’un ermite couvert de peaux de bêtes, mais apparaissant dans un journal quotidien au bord de la Seine — n’en reste pas moins prophétie.