Том 3. Публицистические произведения - страница 10
Mais cette lettre est trop longue, il est temps de finir. Permettez-moi, monsieur, en finissant de résumer en peu de mots ma pensée.
Je me suis adressé à vous, sans autre mission que celle que je tiens de ma conviction libre et personnelle. Je ne suis aux ordres de personne, je ne suis l’organe de personne; ma pensée ne relève que d’elle-même. Mais j’ai certainement tout lieu de croire que si le contenu de cette lettre était connu en Russie, l’opinion publique n’hésiterait pas à l’avouer. L’opinion russe jusqu’à présent ne s’est que médiocrement émue de toutes ces clameurs de la presse allemande, non pas que l’opinion, non pas que les sentiments de l’Allemagne lui parussent une chose indifférente, bien certainement non… mais toutes ces violences de la parole, tous ces coups de fusil tirés en l’air, à l’intention de la Russie, il lui répugnait de prendre tout ce bruit au sérieux; elle n’y a vu tout au plus qu’un divertissement de mauvais goût… L’opinion russe se refuse décidément à admettre qu’une nation grave, sérieuse, loyale, profondément équitable, telle enfin que le monde a connu l’Allemagne à toutes les époques de son histoire, que cette nation, dis-je, ira dépouiller sa nature pour en révéler une autre faite à l’image de quelques esprits fantasques ou brouillons, de quelques déclamateurs passionnés ou de mauvaise foi, que, reniant le passé, méconnaissant le présent et compromettant l’avenir, l’Allemagne consentira à accueillir, à nourrir un mauvais sentiment, un sentiment indigne d’elle, simplement pour avoir le plaisir de faire une grande bévue politique. Non, c’est impossible.
Je me suis adressé a vous, monsieur, parce que, ainsi que je l’ai reconnu, la «Gazette Universelle» est plus qu’un journal pour l’Allemagne; c’est un pouvoir, et un pouvoir qui, je le déclare bien volontiers, réunit à un haut degré le sentiment national et l’intelligence politique: c’est au nom de cette double autorité que j’ ai essayé de vous parler.
La disposition d’esprit que l’on a créée, que l’on cherche à propager en Allemagne à l’égard de la Russie, n’est pas encore un danger; mais elle est bien près de le devenir… Cette disposition d’esprit ne changera rien, j’en ai la conviction, aux rapports actuellement existants entre les gouvernements allemands et la Russie; mais elle tend à fausser de plus en plus la conscience publique sur une des questions les plus graves qu’il y ait pour une nation, sur la question de ses alliances… Elle tend en présentant sous les couleurs les plus mensongères la politique la plus nationale que l’Allemagne ait jamais suivie, à jeter la division dans les esprits, à pousser les plus ardents, les plus inconsidérés dans des voies pleines de péril, dans des voies où la fortune de l’Allemagne s’est déjà fourvoyée plus d’une fois… Qu’une crise éclate en Europe, que la querelle séculaire, décidée il y a trente ans en votre faveur, vienne à se rallumer, la Russie certainement ne manquera pas à vos souverains, pas plus que ceux-ci ne manqueront à la Russie; mais c’est alors aussi qu’on aura probablement à récolter ce que l’on sème aujourd’hui: la division des esprits aura porté ses fruits, et ces fruits pourraient être amers pour l’Allemagne; ce seraient, je le crains bien, de nouvelles défections et des déchirements nouveaux. Et alors, monsieur, vous auriez trop cruellement expié le tort d’avoir été un moment injustes envers nous.
Voilà, monsieur, ce que j’avais à vous dire. Vous ferez de ma parole l’usage qui vous paraîtra le plus convenable.
Agréez, etc.
1844
3аписка>*
En allant au fond de cette malveillance qui se manifeste contre nous en Europe et si l’on met de côté les déclamations, les lieux communs de la polémique quotidienne, on y trouve cette idée:
«La Russie tient une place énorme dans le monde et cependant elle ne représente que la force matérielle, rien que cela».
Voilà le véritable grief, tous les autres sont accessoires ou imaginaires.
Comment est née cette idée et quelle en est la valeur?
Elle est le produit d’une double ignorance: de celle de l’Europe et de la notre propre. L’une est la conséquence de l’autre. Dans l’ordre moral, une société, une civilisation qui a son principe en elle-même, ne saurait être comprise des autres qu’autant qu’elle se comprend elle-même: la Russie est un monde qui commence à peine à avoir la conscience de son principe. Or, c’est la conscience de son principe qui constitue pour un pays sa légitimité historique. Le jour où la Russie aura pleinement reconnu le sien, elle l’aura de fait imposé au monde. En effet de quoi s’agit-il entre l’Occident et nous? Est-ce de bonne foi que l’Occident a l’air de se méprendre sur ce que nous sommes? Est-ce sérieusement qu’il prétend ignorer nos titres historiques? —