Том 3. Публицистические произведения - страница 31

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En général on s’est trop habitué en Europe, dans ces derniers temps, à résumer l’appréciation que l’on fait des actes ou plutôt des velléités d’action de la politique française par une phrase devenue proverbiale: «La France ne sait ce qu’elle veut». — Cela peut être vrai, mais pour être parfaitement juste on devrait ajouter que la France ne peut pas savoir ce qu’elle veut. Car pour y réussir il faut avant tout avoir Une volonté — et la France depuis soixante ans est condamnée à en avoir deux.

Et ici il ne s’agit pas de ce désaccord, de cette divergence d’opinions politiques ou autres qui se rencontrent dans tous les pays où la société par la fatalité des circonstances se trouve livrée au gouvernement des partis. II s’agit d’un fait bien autrement grave; il s’agit d’un antagonisme permanent, essentiel et à tout jamais insoluble, qui depuis soixante ans constitue, pour ainsi dire, le fond même de la conscience nationale en France. C’est l’âme de la France qui est divisée.

La Révolution, depuis qu’elle s’est emparée de ce pays, a bien pu le bouleverser, le modifier, l’altérer profondément, mais elle n’a pu, ni ne pourra jamais se l’assimiler entièrement. Elle aura beau faire, il y a des éléments, des principes dans la vie morale de la France qui résisteront toujours — ou du moins aussi longtemps qu’il y aura une France au monde; tels sont: l’Eglise catholique avec ses croyances et son enseignement; le mariage chrétien et la famille, et même la propriété. D’autre part, comme il est à prévoir que la Révolution, qui est entrée non-seulement dans le sang, mais dans l’âme même de cette société, ne se décidera jamais à lâcher prise volontairement, et comme dans l’histoire du monde nous ne connaissons pas une formule d’exorcisme applicable à une nation tout entière, il est fort à craindre que l’état de lutte, mais d’une lutte intime et incessante, de scission permanente et pour ainsi dire organique, ne soit devenu pour bien longtemps la condition normale de la nouvelle société française.

Et voilà pourquoi dans ce pays, où nous voyons depuis soixante ans se réaliser cette combinaison d’un Etat révolutionnaire par principe traînant à la remorque une société qui n’est que révolutionnée, le gouvernement, le pouvoir qui tient nécessairement des deux sans parvenir à les concilier, s’y trouve fatalement condamné à une position fausse, précaire, entourée de périls et frappée d’impuissance. Aussi avons-nous vu que depuis cette époque tous les gouvernements en France — moins un, celui de la Convention pendant la Terreur, — quelque fût la diversité de leur origine, de leurs doctrines et de leurs tendances, ont eu ceci en commun: c’est que tous, sans excepter même celui du lendemain de Février, ils ont subi la Révolution bien plus qu’ils ne l’ont représentée. Et il n’en pouvait être autrement. Car ce n’est qu’à la condition de lutter contre elle, tout en la subissant, qu’ils ont pu vivre. Mais il est vrai de dire que, jusqu’à présent du moins, ils ont tous péri à la tâche.

Comment donc un pouvoir ainsi fait, aussi peu sûr de son droit, d’une nature aussi indécise, aurait-il eu quelque chance de succès en intervenant dans une question comme l’est cette question romaine? En se présentant comme médiateur ou comme arbitre entre la Révolution et le Pape, il ne pouvait guère espérer de concilier ce qui est inconciliable par nature. Et d’autre part il ne pouvait donner gain de cause à l’une des parties adverses sans se blesser lui-même, sans renier pour ainsi dire une moitié de lui-même. Ce qu’il pouvait donc obtenir par cette intervention à double tranchant, quelque émoussé qu’il fût, c’était d’embrouiller encore davantage ce qui déjà était inextricable, d’envenimer la plaie en l’irritant. C’est à quoi il a parfaitement réussi.

Maintenant quelle est au vrai la situation du Pape à l’égard de ses sujets? Et quel est le sort probable réservé aux nouvelles institutions qu’il vient de leur accorder? — Ici malheureusement les plus tristes prévisions sont seules de droit. C’est le doute qui ne l’est pas.