Les trois mousquetaires, vol. 2 (illustré par Maurice Leloir)
- « Предыдущая стр.
- Следующая стр. »
Table des chapitres
Table des gravures
LES TROIS
MOUSQUETAIRES
ALEXANDRE DUMAS
LES TROIS
MOUSQUETAIRES
AVEC UNE LETTRE D’ALEXANDRE DUMAS FILS
COMPOSITIONS
DE
MAURICE LELOIR
GRAVURES SUR BOIS DE J. HUYOT
TOME SECOND
PARIS
CALMANN LÉVY, ÉDITEUR
ANCIENNE MAISON MICHEL LÉVY FRÈRES
3, RUE AUBER, 3
1894
I
ANGLAIS ET FRANÇAIS
L’heure venue, on se rendit, avec les quatre laquais, derrière le Luxembourg, dans un enclos abandonné aux chèvres. Athos donna une pièce de monnaie au chevrier pour qu’il s’écartât. Les laquais furent chargés de faire sentinelle.
Bientôt une troupe silencieuse s’approcha du même enclos, y pénétra et joignit les mousquetaires; puis, selon les habitudes d’outre-mer, les présentations eurent lieu.
Les Anglais étaient tous gens de la plus haute qualité, les noms bizarres de leurs adversaires furent donc pour eux un sujet non seulement de surprise, mais encore d’inquiétude.
—Mais avec tout cela, dit lord Winter quand les trois amis eurent été nommés, nous ne savons pas qui vous êtes, et nous ne nous battrons pas avec des noms pareils; ce sont des noms de bergers, cela.
—Aussi, comme vous le supposez bien, milord, ce sont de faux noms, dit Athos.
—Ce qui ne nous donne qu’un plus grand désir de connaître les noms véritables, répondit l’Anglais.
—Vous avez bien joué contre nous sans savoir nos noms, dit Athos, à telles enseignes que vous nous avez gagné nos deux chevaux?
—C’est vrai, mais nous ne risquions que nos pistoles; cette fois nous risquons notre sang: on joue avec tout le monde, on ne se bat qu’avec des égaux.
—C’est juste, dit Athos.
Et il prit celui des quatre Anglais avec lequel il devait se battre et lui dit son nom tout bas.
Porthos et Aramis en firent autant.
—Cela vous suffit-il, dit Athos à son adversaire, et me trouvez-vous assez grand seigneur pour me faire la grâce de croiser l’épée avec moi?
—Oui, monsieur, dit l’Anglais en s’inclinant.
—Eh bien! maintenant, voulez-vous que je vous dise une chose? reprit froidement Athos.
—Laquelle? demanda l’Anglais.
—C’est que vous auriez aussi bien fait de ne pas exiger que je me fisse connaître.
—Pourquoi cela?
—Parce qu’on me croit mort, que j’ai des raisons particulières pour désirer qu’on ne sache pas que je vis, et que je vais être obligé de vous tuer, pour que mon secret ne coure pas les champs.
L’Anglais regarda Athos, croyant que celui-ci plaisantait; mais Athos ne plaisantait pas le moins du monde.
—Messieurs, dit Athos en s’adressant à la fois à ses compagnons et à leurs adversaires, y sommes-nous?
—Oui, répondirent tout d’une voix Anglais et Français.
—Alors, en garde! dit Athos.
Et aussitôt huit épées brillèrent aux rayons du soleil couchant, et le combat commença avec un acharnement bien naturel entre gens deux fois ennemis.
Athos s’escrimait avec autant de calme et de méthode que s’il eût été dans une salle d’armes.
Porthos, corrigé sans doute de sa trop grande confiance par son aventure de Chantilly, jouait un jeu plein de finesse et de prudence.
Aramis, qui avait le troisième chant de son poème à finir, se dépêchait en homme très pressé.
Athos, le premier, tua son adversaire: il ne lui avait porté qu’un coup; mais, comme il l’en avait prévenu, le coup avait été mortel, l’épée lui traversa le cœur.
Porthos, le second, étendit le sien sur l’herbe: il lui avait percé la cuisse. Alors, comme l’Anglais, sans faire plus longue résistance, lui avait rendu son épée, Porthos le prit dans ses bras et le porta dans son carrosse.
Aramis poussa le sien si vigoureusement, qu’après avoir rompu une cinquantaine de pas il finit par prendre la fuite à toutes jambes et disparut aux huées des laquais.
Quant à d’Artagnan, il avait joué purement et simplement un jeu défensif; puis, lorsqu’il avait vu son adversaire bien fatigué, il lui avait, d’une vigoureuse flanconade, fait sauter son épée. Le baron, se voyant désarmé, fit deux ou trois pas en arrière; mais, dans ce moment, son pied glissa, et il tomba à la renverse.
D’Artagnan fut sur lui d’un seul bond, et lui portant l’épée à la gorge:
—Je pourrais vous tuer, monsieur, dit-il à l’Anglais, et vous êtes bien entre mes mains, mais je vous donne la vie pour l’amour de votre sœur.