Les trois mousquetaires, vol. 2 (illustré par Maurice Leloir) - страница 2

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D’Artagnan était au comble de la joie; il venait de réaliser le plan qu’il avait arrêté d’avance, et dont le développement avait fait éclore sur son visage les sourires dont nous avons parlé.

L’Anglais, enchanté d’avoir affaire à un gentilhomme d’aussi bonne composition, serra d’Artagnan entre ses bras, fit mille caresses aux trois mousquetaires, et, comme l’adversaire de Porthos était déjà installé dans la voiture et que celui d’Aramis avait pris la poudre d’escampette, on ne songea plus qu’au défunt.

Comme Porthos et Aramis le déshabillaient dans l’espérance que sa blessure n’était pas mortelle, une grosse bourse s’échappa de sa ceinture. D’Artagnan la ramassa et la tendit à lord Winter:

—Et que diable voulez-vous que je fasse de cela? dit l’Anglais.

—Vous la rendrez à sa famille, dit d’Artagnan,

—Sa famille se soucie bien de cette misère: elle hérite de quinze mille louis de rente; gardez cette bourse pour vos laquais.

D’Artagnan mit la bourse dans sa poche,

—Et maintenant, mon jeune ami, car vous me permettrez, je l’espère, de vous donner ce nom, dit lord Winter, dès ce soir, si vous le voulez bien, je vous présenterai à ma sœur, lady Clarick; car je veux qu’elle vous prenne à son tour dans ses bonnes grâces, et, comme elle n’est point tout à fait mal en cour, peut-être dans l’avenir un mot dit par elle ne vous serait-il point inutile.

D’Artagnan rougit de plaisir, et s’inclina en signe d’assentiment.

Pendant ce temps, Athos s’était approché de d’Artagnan.

—Que comptez-vous faire de cette bourse? lui dit-il tout bas à l’oreille.

—Mais je comptais vous la remettre, mon cher Athos.

—A moi? et pourquoi cela?

—Dame, vous l’avez tué: ce sont les dépouilles opimes.

—Moi, hériter d’un ennemi! dit Athos, pour qui donc me prenez-vous?

—C’est l’habitude à la guerre, dit d’Artagnan; pourquoi ne serait-ce pas l’habitude dans un duel?

—Même sur le champ de bataille, dit Athos, je n’ai jamais fait cela.

Porthos leva les épaules. Aramis, d’un mouvement de lèvres approuva Athos.

—Alors, dit d’Artagnan, donnons cet argent aux laquais, comme lord Winter nous a dit de le faire.

—Oui, dit Athos, donnons cette bourse, non à nos laquais, mais aux laquais anglais.

Athos prit la bourse, et la jeta dans la main du cocher:

—Pour vous et vos camarades.

Cette grandeur de manières dans un homme entièrement dénué frappa Porthos lui-même, et cette générosité française, redite par lord Winter et son ami, eut partout un grand succès, excepté auprès de MM. Grimaud, Mousqueton, Planchet et Bazin.

Lord Winter, en quittant d’Artagnan, lui donna l’adresse de sa sœur; elle demeurait Place Royale, qui était alors le quartier à la mode, au numéro 6. D’ailleurs, il s’engageait à le venir prendre pour le présenter. D’Artagnan lui donna rendez-vous à huit heures chez Athos.

Cette présentation à milady occupait fort la tête de notre Gascon. Il se rappelait de quelle façon étrange cette femme avait été mêlée jusque-là dans sa destinée. Selon sa conviction, c’était quelque créature du cardinal, et cependant il se sentait invinciblement entraîné vers elle par un de ces sentiments dont on ne se rend pas compte. Sa seule crainte était que milady ne reconnût en lui l’homme de Meung et de Douvres. Alors, elle saurait qu’il était des amis de M. de Tréville, et par conséquent qu’il appartenait corps et âme au roi, ce qui, dès lors, lui ferait perdre une partie de ses avantages, puisque, connu de milady comme il la connaissait, il jouerait avec elle à jeu égal. Quant à ce commencement d’intrigue entre elle et le comte de Wardes, notre présomptueux ne s’en préoccupait que médiocrement, bien que le marquis fût jeune, beau, riche et fort avant dans la faveur du cardinal. Ce n’est pas pour rien que l’on a vingt ans, et surtout que l’on est né à Tarbes.

D’Artagnan commença par aller faire chez lui une toilette flamboyante; puis il s’en revint chez Athos, et, selon son habitude, lui raconta tout. Athos écouta ses projets; puis il secoua la tête, et lui recommanda la prudence avec une sorte d’amertume.

—Quoi! lui dit-il, vous venez de perdre une femme que vous disiez bonne, charmante, parfaite, et voilà que vous courez déjà après une autre!