Les trois mousquetaires, vol. 2 (illustré par Maurice Leloir) - страница 3

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D’Artagnan sentit la vérité du reproche.

—J’aimais madame Bonacieux avec le cœur, tandis que j’aime milady avec la tête, dit-il; en me faisant conduire chez elle, je cherche surtout à m’éclairer sur le rôle qu’elle joue à la cour.

—Le rôle qu’elle joue, pardieu! il n’est pas difficile à deviner d’après tout ce que vous m’avez dit. C’est quelque émissaire du cardinal: une femme qui vous attirera dans un piège, où vous laisserez votre tête tout bonnement.

—Diable! mon cher Athos, vous voyez les choses bien en noir, ce me semble.

—Mon cher, je me défie des femmes; que voulez-vous! je suis payé pour cela, et surtout des femmes blondes. Milady est blonde, m’avez-vous dit?

—Elle a les cheveux du plus beau blond qui se puisse voir.

—Ah! mon pauvre d’Artagnan! fit Athos.

—Écoutez, je veux m’éclairer; puis, quand je saurai ce que je désire savoir, je m’éloignerai.

—Éclairez-vous, dit flegmatiquement Athos.

Lord Winter arriva à l’heure dite, mais Athos, prévenu à temps, passa dans la seconde pièce. L’Anglais trouva donc d’Artagnan seul, et, comme il était près de huit heures, il emmena le jeune homme.

Un élégant carrosse attendait en bas, attelé de deux excellents chevaux; en un instant on fut Place Royale.

Milady Clarick reçut gravement d’Artagnan. Son hôtel était d’une somptuosité remarquable; et, bien que la plupart des Anglais, chassés par la guerre, quittassent la France, ou fussent sur le point de la quitter, milady venait de faire faire chez elle de nouvelles dépenses: ce qui prouvait que la mesure générale qui renvoyait les Anglais ne la regardait pas.

—Vous voyez, dit lord Winter en présentant d’Artagnan à sa sœur, un jeune gentilhomme qui a tenu ma vie entre ses mains, et n’a point voulu abuser de ses avantages, quoique nous fussions doublement ennemis, puisque c’est moi qui l’ai insulté, et que je suis Anglais. Remerciez-le donc, madame, si vous avez quelque amitié pour moi.

Milady fronça légèrement le sourcil; un nuage à peine visible passa sur son front, et un sourire tellement étrange apparut sur ses lèvres, que le jeune homme, qui vit cette triple nuance, en eut comme un frisson.

Le frère ne vit rien; il s’était retourné pour jouer avec le singe favori de milady, qui l’avait tiré par son pourpoint.

—Soyez le bienvenu, monsieur, dit milady d’une voix dont la douceur singulière contrastait avec les symptômes de mauvaise humeur que venait de remarquer d’Artagnan, vous avez acquis aujourd’hui des droits éternels à ma reconnaissance.

L’Anglais alors se retourna et raconta le combat sans omettre un détail. Milady l’écouta avec la plus grande attention; cependant on voyait facilement, quelque effort qu’elle fît pour cacher ses impressions, que ce récit ne lui était point agréable. Le sang lui montait à la tête, et son pied s’agitait impatiemment sous sa robe.

Lord Winter ne s’aperçut de rien. Puis, lorsqu’il eut fini, il s’approcha d’une table où étaient servis sur un plateau une bouteille de vin d’Espagne et des verres. Il emplit deux verres et d’un signe invita d’Artagnan à boire.


D’Artagnan savait que c’était fort désobliger un Anglais que de refuser de toaster avec lui. Il s’approcha donc de la table, et prit le second verre. Cependant il n’avait point perdu de vue milady, et dans la glace il s’aperçut du changement qui venait de s’opérer sur son visage. Maintenant qu’elle croyait n’être plus regardée, un sentiment qui ressemblait à de la férocité animait sa physionomie. Elle mordait son mouchoir à belles dents.

Cette jolie petite soubrette que d’Artagnan avait déjà remarquée entra alors; elle dit en anglais quelques mots à lord Winter, qui demanda aussitôt à d’Artagnan la permission de se retirer, s’excusant sur l’urgence de l’affaire qui l’appelait, et chargeant sa sœur d’obtenir son pardon.

D’Artagnan échangea une poignée de main avec lord Winter et revint près de milady. Son visage, avec une mobilité surprenante, avait repris une expression gracieuse.

La conversation prit une tournure enjouée. Elle raconta que lord Winter n’était que son beau-frère et non son frère: elle avait épousé un cadet de famille qui l’avait laissée veuve avec un enfant. Cet enfant était le seul héritier de lord Winter, si lord Winter ne se remariait point. Tout cela laissait voir à d’Artagnan un voile qui enveloppait quelque chose, mais il ne voyait pas encore sous ce voile.